Scène première
L’écran devient noir et blanc. La lumière est faible. Le public présent autour du ring fait maintenant face au TitanTron. L'audience est à la fois surprise et curieuse. Un annonceur vêtu de noir et de blanc fait son apparition à l’écran.
Annonceur » Approchez ! Approchez ! Depuis quelques jours, vous les fans de la EPWE entendez ici et là certaines rumeurs, -des messes basses !- à propos d’un nouvel arrivant dans votre fédération fétiche qui aura l’audace d’affronter dès son premier match le champion EPWE. Ces rumeurs faisant tantôt référence à un retour d’un vieux roublard ayant décidé de remettre le couvert, tantôt d’une superstar issue d’une fédération indépendante. Cependant, écoutez bien mesdames et messieurs, il n’en est rien ! L’annonce a été faite il y a peu, par le biais des Internets moôondiaux et également via une brève apparition lors du dernier Extreme Fury : le nouvel arrivant nous vient tout droit des années folles, à cheval entre le XIXe et le XXe siècle ! Il nous vient de ce temps où le théâtre de Vaudeville était la référence mondiale. Mesdames et messieurs, je vous demande une ovation pour accueillir le Vaudevillain, l’Artiste, Aiden English !
Le public applaudit poliment, entraîné par ce présentateur à l’ancienne, qui avec son enthousiasme venu d’un autre temps, sa voix nasillarde et son look original et élégant, parvient à faire applaudir un lutteur ayant quelque peu mauvaise réputation, mais dont l’apparition à Extreme Fury s’est terminée par des applaudissements. L’audience s’attend à voir irrupter le jeune américain accompagné de sa musique d’entrée. Ça sera pour une autre fois. En effet, on peut juste apercevoir Aiden English muni d’un micro faire son apparition sous le TitanTron.
Aiden English » Projecteurs, je vous prie.
Et la lumière fut. Les spotlights se concentrent sur le Drama King, les photons matérialisant l’aura naturelle d’Aiden English. L’audience est toujours à la fois happée par ce qui se passe mais également quelque peu apathique, dans l’attente du discours du nouveau venu. La réaction du public se ressentira sans nul doute après les premiers mots du lutteur.
Aiden English » Il n’est pas dans mon habitude de l’avouer, mais il est vrai que je prends un plaisir certain à me trouver ici ce soir devant vous. Vous me donnez, avec cet air déserté, reflet de la vacuité de votre esprit étriqué, l’image parfaite du public de qualité, celui que j’aime. Je ressens en vous le besoin de combler le vide de votre vie, et je vous remercie de placer en moi l’espoir de raviver votre existence morose. Mesdames et messieurs, je le répète, merci ! Merci à vous, sans même avoir besoin de faire quoi que ça soit, juste par le fait que vous n’êtes que des corps sans valeur, des âmes sans intérêt, vous mettez en exergue la grandeur et l’élégance que j’incarne. Vous êtes la représentation idéale de ces spectateurs, les pieds dans la mouscaille admirant l’acteur principal d’un Vaudeville, avec cette admiration pour la beauté d’un spectacle que vous ne pourrez toucher qu’avec les yeux. Je suis donc ici pour vous servir, et je suis extrêmement honoré et particulièrement ravi de pouvoir être le visage qui vous permet de ne pas sombrer dans les pires atrocités que votre monde vous propose.
L’audience est partagée. Est-il réellement en train de remercier le public ou est-il en train de se foutre d’eux copieusement de manière plus ou moins détournée ? Les réactions se font finalement ressentir : certains applaudissent timidement dans la continuité d’Extreme Fury et de l’arrivée du lutteur, les plus futés commencent à huer l’Artiste, comprenant bien qu’il les prend pour des moins que rien. Aiden English reprend la parole tout en s’avançant vers le ring.
Aiden English » Ces applaudissements confirment mes premières pensées. Les nodocéphales que vous êtes avez l’esprit aussi affûté que ne l’est votre enveloppe corporelle. Votre panse a bien du courage au vu de la quantité immense d’excréments que vous lui forcez à digérer. Vous semblez aussi gras qu’imbéciles même si ça parait impossible au premier abord, tant votre couenne est imposante. Vous n’êtes que des rêveurs, tentant de substituer la vie d’artiste et d’athlète à leur pauvre destinée misérable. Des gens comme vous n’existaient pas dans le passé, ils se battaient tous les jours dans l’espoir d’accéder à un statut convenable. Fut un temps où le public qui assistait aux spectacles avait de l’ambition et se donnait les moyens de réussir, intellectuellement ou physiquement, chacun aspirait à mieux. Aujourd’hui, vous stagnez lamentablement, vous vous plaisez à vivre par procuration, imbéciles heureux dans votre statut de spectateur. Vous ne serez jamais acteur de votre propre vie !
Les choses sont maintenant claires, le public hue profusément le jeune américain. Celui-ci affiche un sourire satisfait. Aiden English monte maintenant sur le ring et se place au centre, toujours magnifié par les feux des projecteurs.
Aiden English » Vous m’inspirez même une chanson. C’est là qu’on voit le talent de l’Artiste, même votre bêtise est source d’inspiration pour moi. Maintenant, je vous prie de bien vouloir la mettre en veilleuse, vous paraissez moins stupide quand vous ne la ramenez pas.
[Sur l’air du refrain de Elle vit sa vie par procuration, de Jean Jacques Goldman, NdR]Vous êtes aussi futés qu’un pigeon
Et vous rêvez d’être sous les néons.
Vous me dégouterez pour toujours
Et j’aimerais quand même savoir un jour :
Comment vos sièges ont-ils survécu ?
Quand je vois la taille de votre c**.
Et finalement quand je finirai champion
Je serai heureux de voir vos têtes de c**s.
L’audience, atterrée par cette chanson, se lance elle-même dans une chanson, à la structure plus simple et aux paroles plus classiques : « You Suck ! You Suck ! ».
Aiden English » Je vous en prie, ayez l’obligeance de ne plus jamais tenter de pousser la chansonnette, mes oreilles commencent à saigner. Nonobstant ces chants infâmes, il faut que je poursuive ! En effet, ce dimanche, je ferai partie du match 24/7 contre le dénommé Shelton Benjamin pour le titre EPWE. J’ai appris l’existence d’un tel match peu de temps après mon arrivée et je dois dire que cette opportunité tombe au moment idéal. Pourquoi, me direz-vous. Eh bien pour vous, fans de la EPWE, vous n’allez pas devoir attendre mes premiers matchs à Fury, ni un début de rivalité avec les aspirants au titre, ni la rivalité avec le champion. Je vais devenir champion en évitant toutes ces étapes et vous aurez donc l’honneur de me voir directement, toutes les semaines, orné de mon sourire parfait et de la ceinture de champion EPWE ! Parce qu’actuellement, je vois à vos visages déconfits que vous n’êtes pas satisfaits de ce pitre-champion. Ou devrais-je dire ce piètre champion !
Je vous propose maintenant de faire un petit flashback ! Personne ne sera étonné de mon envie de ce flashback mais là où je vais vous surprendre c’est la date à laquelle nous allons retourner. Cette fois, pas de retour dans les années folles, pas de nostalgie pour le président Daladier, notre flashback nous amène à il y a quelques jours seulement, peu après mon arrivée et après avoir eu connaissance du match 24/7 contre Shelton Benjamin. Magnéto Serge !
On retrouve alors 4 personnes alignées sur une table, parmi eux, Aiden English. Ceux-ci semblent en train de regarder la performance d’un artiste : il s’agit d’un casting. En effet on peut voir sur cette table un logo «
A la recherche du NouVaudeville ! ». L’artiste semble avoir terminé et Aiden English prend la parole.
Aiden English » Veuillez bien m’excuser monsieur mais il me semble que l’annonce de casting était assez claire : nous recherchons, dans le but de monter un Vaudeville encré dans le milieu du catch, un homme noir d’environ 45-55 ans, un peu enrobé, brun avec un visage niais et doté d’un humour douteux. C’est pourtant limpide comme description, mais pour le dire encore plus simplement, nous sommes à la recherche du sosie de Shelton Benjamin ! Et vous, vous êtes un jeune homme blanc, musclé et agile ! C’est très bien ce que vous avez fait, mais revenez plus tard, quand on sera à la recherche d’un comédien pouvant tenter de m’incarner, moi ! Vous aurez peut-être vos chances ! Pour moi c’est un non.
Jury inutile numéro 1 » Pour moi c’est non également.
Jury inutile numéro 2 » Non.
Jury inutile numéro 3 » Ça fera 4 non monsieur, désolé !
Vient alors le prochain candidat qui n’est autre que Djibril Cissé, ex-footballeur.
Aiden English » Mon dieu ! Stop ! Pour le visage niais, là on est bien tombé, bravo à vous ! On sent bien qu’il y a énormément de place dans la boîte crânienne ! Mais là c’est non, vous êtes bien trop musclé et vous paraissez trop jeune. En plus cette couleur de cheveux, c’est non ! C’est fini le Gold Standard ! Aujourd’hui, Shelton n’est qu’un clown grotesque profitant du faible niveau global pour tenter de surnager. Allez, ça dégage.
Les jurys inutiles numéro 1, 2 et 3 ne pipent mot et le candidat suivant s’avance. Il s’agit de Magloire, ex-animateur télé.
Aiden English » Là on a pas mal de potentiel. Vous avez typiquement le bon profil : une star sans talent mise sous les projecteurs pendant un moment, jamais transcendante, jamais attendue mais toujours présente. Vous avez fait les belles heures de la télé à des horaires qui n’intéressent personne mais vous n’avez jamais su être LA grande star du paysage audiovisuel. Jusqu’à un certain point, où les gens en ont eu marre de vous et tout le monde vous a oublié, sans jamais vous regretter à un seul moment. Le sosie idéal de Benjamin, sur le plan professionnel ! Cependant, vous n’êtes pas enrobé vous, vous êtes obèse ! Allez, ça dégage !
Et celui qui s’avance maintenant est le célèbre Denis Rodman, ancien basketteur.
Aiden English » Aaaah oui ! Là on a un beau raté ! Très sympa ! La face de clown raté, c’est bon. Le corps qui tombe en lambeaux, c’est bon. Par contre le souci principal c’est que, avant d’être la risée internationale que j’ai en face de moi, vous, dans l’imaginaire collectif, vous avez quand même une image de quelqu’un de triomphant, avec un palmarès rempli des plus beaux trophées, vous avez atteint le sommet de la NBA à plusieurs reprises. Beaucoup trop de réussite en comparaison avec Shelton Benjamin… C’est avec beaucoup de regrets que je vous dis ça mais nous allons devoir dire non.
Les 3 jurys opinent du bonnet. Le prochain participant, dénommé Cacao, décide de s’accompagner d’un sparring-partner et fait une démonstration de mouvements.
Aiden English » Mais tout est réuni ici ! Les mouvements sont aussi ridicules que ne le sont ceux de Benjamin. C’est plutôt lamentable visuellement, on ressent la peur mais à la fois le côté pataud et empoté. Vous êtes drôle sans le faire exprès, c’est parfait. J’aurais juste une demande spécifique, je vais tester votre humour… Racontez-moi une blague !
Cacao » Alors, quelle est la différence entre le chocolat et une belle-mère ? Le chocolat, ça constipe et la belle-mère, ça fait chier !
Cacao est plutôt fier de sa balourdise et affiche un sourire satisfait.
Aiden English » Bien. C’est complètement naze. Totalement l’esprit Benjamin, des bouffonneries de bas étage qui ne plaisent à personne d’autre qu’à lui. On vous prend !
Les jurys applaudissent Cacao. Le TitanTron se coupe sur cette image. Le public voit pointer un sourire sur le visage d’Aiden English, toujours sur le ring et visiblement heureux de la première recrue de son Vaudeville. La musique d’Aiden English retentit. Celui quitte le ring tout en braillant à qui veut l’entendre qu’il va se débarrasser de Shelton Benjamin et devenir champion EPWE.
JHM